{1}[3] (65) HISTOIRE DE BILAWHAR ET BŪḎĀSF
SERMONS ET PARABOLES
Au nom de Dieu, le Miséricordieux, le Compatissant de Qui nous implorons le secours.
{1}{01} Il était, dit-on, un roi de l'Inde qui s'appelait Ǧunaysar, au royaume puissant, aux armees nombreuses, favorisé par le succès et redoutable aux yeux des hommes.
Considérable était son pouvoir sur les biens de ce monde, très ardent son désir de les posséder, et intense son obstination à les poursuivre: à eux seuls il appliquait sa pensée et sa force, pour eux seuls étaient ses dispositions, en eux seuls ses occupations.
Il ne considerait comme ses vrais amis que ceux qui l'y encourageaient, et comme félons que ceux qui l'encourageaient à la religion et au mépris du monde: ceux-là, il les tenait pour ennemis.
Il avait accédé au pouvoir dans la fleur de la jeunesse et l'ardeur des concupiscences.
C'était un homme plein de jugement dans ses affaires, et plein de jeunesse: il le savait, et en tirait orgueil.
Ainsi se réunissaient contre lui l'ivresse du pouvoir, l'ivresse de la jeunesse, l'ivresse de l'orgueil et l'ivresse des concupiscences.
Puis cette ivresse s'enflamma [4] et se fortifia des succès, des triomphes et des victoires qu'il remporta, au point qu'il accabla les hommes de son arrogance, de son mépris et de sa tyrannie.
Enfin, elle s'enracina en lui, à force d'entendre les hommes faire son propre éloge, lui vanter son bon jugement, et lui fixer dans le coeur l'idée qu'il n'y avait de science que sa science, et de bon jugement que son jugement.
Il n'avait de souci que pour ce monde, et ce monde lui était propice: en désirait-il une chose, qu'aussitôt elle lui était offerte, et qu'il s'en emparait. Excepté qu'il n'avait eu que des filles, et pas un garçon.
{1}{02} Or, l'ascétisme s'était répandu sur son territoire avant son règne.
Une fois qu'il eut pris le pouvoir, la royauté le poussa, et Satan l'excita à combattre l'ascétisme, la Religion et ses adeptes, si vifs étaient son amour du monde et son attachement pour lui, sa répugnance à se rappeler l'autre vie, et sa crainte que, parmi les les hommes quelqu'un ne dénigrât son pouvoir ou ne l'en dépossédât traîtreusement.
Dès (66) lors, il persécuta les adeptes de la Religion et les chassa pour rapprocher de lui les adeptes de l'idolâtrie, faisant fabriquer pour eux des idoles d'or et d'argent, [5] soutenant chacune de leurs sectes, malgré leurs désaccords entre elles, assistant à leurs fêtes, se prosternant devant leurs idoles.
Ainsi il exalta les idolâtres et délaissa les adeptes de la religion.
Les gens s'empressèrent d'en faire autant, car cela leur était facile et ne leur apportait nulle charge et nul devoir, sinon cela même à quoi ils prenaient plaisir: égorger des bêtes, danser, manger, boire, se vêtir de brocart.
Ils délaissèrent donc les adeptes de la Religion et les tourmentèrent. Et seuls demeurèrent dans la foi les patients et les véridiques.
Or, la première épouse du roi était une femme pleine de beauté, de mérite et de vertu.
Elle vit en songe comme si un éléphant blanc volait dans l'air puis s'approchait d'elle, et se posait sur son ventre sans lui faire le moindre mal.
Au matin, elle raconta son rêve au roi.
Alors le roi fit venir les interprètes des songes et leur fit le récit de ce rêve.
Et ils annoncèrent au roi la bonne nouvelle qu'il lui naîtrait un garçon.
{1}{03} Puis, un jour, le roi s'enquit d'un homme parmi les notables de son royaume, qu'il avait pour familier et ami, et qu'il consultait sur certaines affaires importantes. [6] Jusque là, ils étaient demeurés amis.
Il voulut lui faire un présent, et le consulter sur quelque affaire.